Congrès
de l’Association française de sociologie
RT42 Sociologie des élites
Aix-en-Provence, du mardi 27 au vendredi
30 août 2019
Appel à communications
L’effondrement
des partis politiques traditionnels, comme la multiplication des
mouvements populaires spontanés, interrogent très directement le
rôle et la position des élites. Sommes-nous dans une de ces
périodes de crise, chères à Pareto, par lesquelles l’élite
ancienne est brutalement renversée par une nouvelle élite montante,
encore méconnue ? L’époque est clairement à la remise en
cause de l’ordre social et, de ce point de vue, s’intéresser aux
élites est une manière heuristique de prendre la mesure des
changements qui s’opèrent. Le thème du prochain congrès de
l’AFS, « classements, déclassements, reclassements »,
est l’occasion d’engager ce questionnement de manière dynamique
en se demandant non seulement ce qui fait les élites, mais aussi ce
qui les défait et les recompose. Dans cette perspective, nous
proposons trois axes de réflexion. Un premier axe s’intéressera
aux procédures de classements par lesquels les élites sont
sélectionnées et instituées. Le deuxième axe abordera la question
de la mobilité sociale des élites tant sur les plans individuel et
générationnel que politique et historique. Le troisième sera
consacré aux dimensions méthodologique et épistémologique que
recouvrent les opérations de classement dans les recherches
s’intéressant aux fractions supérieures des espaces sociaux
(inter)nationaux, notamment quand elles sont produites par la
sociologie elle-même.
1. En être ou pas : le rôle symbolique du classement
Un premier axe
autour duquel pourraient s’organiser les communications serait le
rôle symbolique du classement. En effet, la production des élites
s’opère souvent à travers un ensemble d’épreuves (plus ou
moins institutionnalisées) de sélection, dans lesquelles les
opérations de classement sont centrales. De la socialisation et des
intégrations plus ou moins affirmées dans une ou des élites
(réseaux d’invitation, cercles) jusqu’aux concours d’accès à
des fonctions perçues comme élitaires, les classements jouent un
rôle essentiel dans la construction sociale, voire la définition,
de groupes élitaires : des cas-limites tels que les classes
préparatoires ou les centres de formation des athlètes
professionnels montrent bien l’emprise qu’exercent ces
instruments de discipline, à travers les injonctions perpétuellement
renouvelées à la performance, à la compétition, au dépassement
de soi.
La concurrence entre élites se joue
en outre sur les critères mêmes des classements, comme l’illustrent
l’internationalisation du champ de l’enseignement supérieur et
la contestation, au nom d’une adaptation supposée nécessaire à
la « mondialisation », des filières nationales de
reproduction des élites économiques ou scientifiques, pour ne
prendre que ces deux exemples. Le rôle du passage progressif d’une
excellence fondée sur la maîtrise du droit à celle de la science
économique pourra aussi être réexaminé (économicisation jouant
aux niveaux des curricula, des certifications, des méthodes
d’évaluation). Seront également bienvenues les communications
portant sur les stratégies de résistance qu’opposent aux
classements négatifs les élites en situation de crise ou de déclin
- telles que les élites délinquantes menacées par un scandale
politique ou judiciaire.Le classement contribue à l’institutionnalisation d’étalons en opérant une hiérarchie pour la constitution et la conversion des capitaux. Cependant, les élites ne sont pas partout produites de la même manière : élites locales, élites scolaires, élites militaires, élites artistiques, etc. On peut, dans tous ces cas, s’interroger sur la façon dont les processus d’élection et de sélection produisent la manière particulière dont telle ou telle élite spécifique se perçoit – telle que la croyance à la vocation et au don artistique inculquée aux élèves de la plupart des écoles d’art les plus prestigieuses. Inversement, le déni d’existence du groupe élitaire (ou du rapport de domination, de condescendance) peut aussi jouer un rôle dans l’expression des appartenances. L’existence de procédures marginales d’ouverture des élites peut d’ailleurs renforcer le sentiment d’appartenance et la cohésion des élites classiques non issues de ces logiques de plus ou moins grande diversification des entrées. On aurait tort de négliger tout autant les rites d’intronisation dont les dimensions sacralisantes ont déjà été soulignées. Assiste-t-on à une américanisation des formes rituelles (en France les Young Leaders, les Challenges, etc.) ? La prise en compte des questions de genre, avec l’éventuelle disqualification des rites liés à l’exaltation de la virilité et la féminisation (ou non, dans les pratiques) des titres pourra aussi être explorée et faire l’objet de propositions de communication.
2. Mobilités élitaires : voies d’accès, renouvellement et déclassements
Si les élites
sont le produit d’un classement, elles peuvent être aussi
déclassées ou reclassées. En d’autres termes, elles peuvent être
questionnées du point de vue de leur mobilité sociale. En effet,
comment devient-on une élite et comment se maintient-on dans cette
position ? Naît-on membre de l’élite ou y accède-t-on ?
L’avis des sociologues sur ce point est loin d’être consensuel :
certains insistent sur les dynamiques de reproduction sociale alors
que d’autres mettent en exergue les processus d’ascension et de
déclin. C’est sous ce prisme que Pareto avait construit sa théorie
des élites. Celle-ci était indissociable d’un mouvement vitaliste
par lequel les sociétés se régénéraient constamment par
l’ascension de nouvelles élites et le déclin des anciennes –
l’histoire serait ainsi « un cimetière d’aristocraties ».
Cette conception parétienne a pu alimenter une certaine philosophie
de l’histoire qui veut que, de tout temps et en tout lieu, le plus
grand nombre soit dominé par le plus petit, faisant de l’élite
une véritable loi sociologique. On pourra donc s’interroger, dans
un premier temps, sur le caractère immanent des élites d’une
part, et leur constant renouvellement d’autre part : quels
types de classement et déclassement sont produits dans l’histoire
pour faire et défaire les élites ? Comment la « naissance »
s’oppose-elle au « talent » ? Par exemple, comment
cette opposition a-t-elle été historiquement construite pour
séparer la noblesse d’Ancien Régime de l’élite républicaine ?
L’autre dimension de ce
questionnement sur la circulation des élites est la mobilité
sociale proprement dite, telle qu’elle a été théorisée par
Pitirim Sorokin à la suite de Pareto justement. Comprise comme la
république des individus les plus talentueux, quelles qu’en soient
les origines, l’idée même d’élite implique la mobilité
sociale. Car à l’instar d’un Louis Pasteur ou d’un Andrew
Carnegie, il faut bien que le « talent » advienne et que
les plus « méritants » accèdent aux sommets de la
société. On pourra donc s’intéresser aux trajectoires
ascendantes mais aussi aux processus de déclassement, en essayant de
mettre au jour les logiques sociales qui président à ces
mouvements. On portera une attention toute particulière aux
processus de déclin qui, en sociologie des élites au moins, est
l’aspect le moins étudié de la mobilité sociale. A l’instar de
travaux récents, il conviendra de regarder les sentiments de
déracinement ou de dissonance cognitive que provoquent ces
mobilités. Afin de prolonger la réflexion, il faudra peut-être
dépasser une vision de la mobilité sociale centrée sur l’individu
pour embrasser une dimension plus intergénérationnelle. On pourra
mettre ainsi en évidence le poids des stratégies familiales dans
les processus de mobilité sociale, voire des solidarités locales ou
communautaires visant à faire réussir un membre pour le bénéfice
du groupe.Enfin, pour renouer avec la dimension proprement historique, il conviendra de s’interroger sur la mobilité sociale des élites opérant à travers les crises politiques et/ou économiques en tant que facteurs de déclassement et de reclassement. La renégociation des échelles de valeurs qui intervient lors des crises et plus encore au moment des révolutions sont des laboratoires particulièrement précieux pour observer comment se font et se défont les élites. La conversion des anciennes élites dans les pays en transition démocratique est, par exemple, révélatrice de ces réévaluations des capitaux légitimes par lesquelles sont redistribuées les modalités pratiques de la domination. De même, les mouvements de populations au travers des migrations, de l’exil ou de la dispersion peuvent contribuer à affaiblir ou renforcer les élites traditionnelles en modifiant substantiellement la valeur des ressources qui les instituent. Dans le cas d’une population dispersée et réfugiée, les sources de légitimité traditionnelles comme la propriété terrienne ne permettent plus aux élites dirigeantes d’assumer leurs rôles. Dès lors, se pencher sur les phénomènes de transition et sur les crises des régimes politiques ouvre la voie à une analyse dynamique et comparative des processus de déclassement et de reclassement des élites au fil des changements s’opérant au sein des sociétés.
3. Conceptualisations et méthodologies des classements élitaires : ce que le travail sociologique fait aux élites
Dans le
prolongement des journées d’études organisées par le RT en 2016,
le troisième axe entend poursuivre les réflexions de nature
méthodologique relatives à l’usage du terme « élites ».
L’axe pourra ainsi accueillir trois grands types de préoccupations.
La première est relative aux
opérations mêmes d’identification des populations pouvant être
qualifiées d’élites. Tou·te·s les chercheur·e·s sont
amené·e·s à opérer des opérations de classement, déclassement
et reclassement quand il s’agit de traiter de leurs données.
Comment les chercheurs en viennent-ils à qualifier d’élites (pour
les distinguer socialement d’autres populations) les groupes
sociaux sur lesquels ils enquêtent ? Cette préoccupation sera
l’occasion d’interroger des cas « limites »,
notamment ceux où certaines propriétés sociales et certaines
ressources peuvent entrer en contradiction et conduire les chercheurs
à opérer des choix en matière de classification. Par exemple, des
populations dont les ressources étaient historiquement dominantes,
mais apparaissant désormais comme en déclin, sont-elles toujours
catégorisables comme étant des élites ? Comment, le cas
échéant, penser leur déclassement ? De manière plus
générale, comment analyser les évolutions et les différences de
recours au terme élites dans l’histoire et dans l’espace ?
Enfin, et dans un autre registre, des populations a priori dominantes
dans des localités, mais ne l’étant pas au-delà, peuvent-elles
être ainsi qualifiées ? La deuxième préoccupation concerne
les effets relatifs aux discours produits sur les élites, notamment
ceux des chercheur·e·s. Le terme, créé par les sociologues, est
désormais largement utilisé dans d’autres sphères telles que la
politique ou les médias. De ce fait, le chercheur n’est jamais
complètement certain, lorsqu’il étudie ce que l’on dénomme
élites, de ne pas contribuer à réifier, y compris malgré lui, une
représentation du monde social qui confond talent et supériorité
sociale. Les sociologues ne sont-ils pas victimes, par une curieuse
ruse de la raison, d’acceptions profanes d’un terme qu’ils ont
pourtant eux-mêmes créé comme catégorie sociologique ? Les
contributions pourront alors porter sur la responsabilité des
chercheur·e·s en sciences sociales dans leur manipulation du terme
« élite » (ne font-ils pas passer en contrebande une
forme de sens commun dans le langage scientifique ?), ainsi que
sur la vigilance épistémologique dont ils font preuve ou, au
contraire, dont ils manquent. De manière provocante, il pourra être
intéressant d’analyser le conservatisme dont peuvent user les
chercheur·e·s en sciences sociales dans leurs usages du terme, de
même que, et cela sans exagérer le pouvoir des sociologues,
l’éventuelle performativité des classements sociologiques
relatifs à l’élite. Dans le même ordre d’idées, les
propositions qui, dans un souci de réflexivité, envisagent le
propre positionnement des sociologues par rapport aux élites, par
exemple au travers de l’hypothèse d’un « retour du
refoulé » ou de l’idée, chère à Bourdieu, selon laquelle
« les classeurs seront classés par leur classement »,
seront bienvenues. Enfin, on pourra se demander si les chercheur·e·s
en sciences sociales mobilisent la notion des mêmes manières, et
comment le terme est utilisé dans d’autres sphères que la
sociologie.La troisième préoccupation porte sur le travail sociologique proprement dit, c’est-à-dire sur les sources et les méthodes utilisées pour analyser les élites. Les sessions organisées par le RT voudraient être des lieux d’échanges autour des effets de connaissance produits par la pratique sociologique elle-même. Comment le choix des sources, par exemple, ne surdétermine-t-il pas la représentation de l’objet, à savoir l’élite ? En recourant à des classements préconstitués tels que les annuaires, les liste de membres de clubs et d’organisations, les indices boursiers ou les palmarès, ne risque-t-on pas de reproduire de donner une vision trop stable et linéaire des collectifs élitistes – d’ailleurs parfois en phase avec l’image que les membres de ces groupes ont d’eux-mêmes ? Quels types de source de données alternatives peut-on envisager pour donner une image moins réifiante des groupes élitaires ? Sur la question des outils analytiques ensuite, les analyses de réseaux, les analyses de correspondances multiples, les analyses de régressions, les analyses de séquences, l’analyse d’archives, l’ethnographie ou les entretiens biographiques composent aujourd’hui la palette des dispositifs les plus souvent utilisés dans les recherches sur les élites. Quels types de connaissances ces différents outils permettent – ou ne permettent pas – d’établir sur les groupes étudiés ? Quelles sont les limites des classements résultant de ces analyses ? Quelle conjugaison d’outils – voire quels nouveaux outils – peut-on proposer pour favoriser une réflexivité quant aux effets de ces choix méthodologiques sur la vision du monde social contenue en creux dans les résultats de nos analyses ?
Modalités de soumission des propositions
Les
propositions de communications, ne dépassant pas une page (4000
signes espaces et bibliographie comprises) sont à déposer entre le
15 janvier et le 15 février 2019 sur la page internet du RT sur le site de l'AFS :
https://afs-socio.fr/rt/rt42/, onglet
Les réponses seront communiquées le 30 mars 2019. Le texte de la
communication devra être envoyé avant le 31 juillet 2019.
Le bureau du RT 42
Bataille Pierre, Bertron Caroline, Isabel
Boni-Le Goff, Bosvieux-Onyekwelu Charles, Damien Romain, Delespierre
Adrien, Drouard Maïa, Dudouet François-Xavier, Ghillebaert
Christian-Pierre, Healy Aisling, Lebaron Frédéric, Louey Sophie,
Lozach Ugo, Pavis Fabienne, Rabier Marion, Richard Jean-Luc, Violier
Victor, Vion Antoine.